LA DIFFAMATION SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
Les principes revisités dans la décision rendue le 8 janvier 2019 dans l’affaire G&B Maternité c. Claveau par l’honorable juge Jimmy Vallée J.C.Q.
Dans cette affaire, G&B Maternité poursuit Mesdames Justine Claveau et Annie Cantin en diffamation pour des propos publiés sur Facebook. G & B reproche à ces dernières d’avoir répandu de fausses informations à son sujet sur le réseau social Facebook, l’accusant notamment d’avoir copié un produit vendu par madame Claveau.
D’amblé, l’honorable juge reprend les principes établis en matière de diffamation et écrit :
« La Charte des droits et libertés de la personne («la Charte») ainsi que le Code civil du Québec expriment plusieurs importants principes selon lesquels toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Ce droit est fondamental et est clairement reconnu par la législation.
Ainsi, toute personne est titulaire du droit au respect de son nom et de sa réputation.
Le droit à la réparation découle du mécanisme général régissant la responsabilité extracontractuelle prévu à l’article 1457 C.c.Q. qui édicte que toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. »
Ainsi, il est généralement reconnu que la diffamation consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.
Selon le juge Vallée, « il faut donc se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation de G & B. Même si les propos sont jugés diffamatoires, ils n’engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur, sauf si on démontre en plus la commission d’une faute. »
Selon la Cour suprême, il est possible d’identifier trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes. La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui. La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité. Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers.
En regard de ces critères apparaît donc un enjeu de taille lorsque des propos trop souvent repris sur Facebook et relayés d’amis en amis alors que tant l’initiateur que la victime en perdent totalement le contrôle de la diffusion.
La question du dommage ou du préjudice est généralement analysée suivant huit critères dégagés par la jurisprudence. Il est tout d’abord nécessaire d’évaluer la gravité intrinsèque de l’acte diffamatoire ainsi que sa portée particulière du point de vue de la victime.
Il faut ensuite regarder l’importance de la diffusion publique dont le libelle a été l’objet ainsi que le genre de personnes qui en aurait pris connaissance ainsi que les conséquences que la diffamation a pu avoir sur leur esprit et sur leur opinion à l’égard de la victime.
L’étape suivante nous amène à nous interroger sur le degré de déchéance plus ou moins considérable à laquelle cette diffamation a réduit la victime par comparaison avec son statut antérieur ainsi que la durée éventuelle et raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie.
L’honorable juge Vallée rappelle que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par des insinuations qui s’en dégagent. Monsieur le juge Jean-Pierre Sénécal de la Cour supérieure s’exprime ainsi, dans l’affaire Beaudoin c. La presse ltée. :
« La forme d’expression du libelle importe peu; c’est le résultat obtenu dans l’esprit du lecteur qui crée le délit ». L’allégation ou l’imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte « par voie de simple allusion, d’insinuation ou d’ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique ». Il arrive souvent que l’allégation ou l’imputation « soit transmise au lecteur par le biais d’une simple insinuation, d’une phrase interrogative, du rappel d’une rumeur, de la mention des renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux. » »
Traitant de la notion d’insinuation diffamatoire, la Cour d’appel écrit ce qui suit dans l’arrêt Deschamps c. Ghorayeb :
«Il n’est pas douteux qu’une personne puisse, par des propos ou même par un non-dit lourds de sous-entendus, porter atteinte à la réputation de quelqu’un. On est alors en présence d’insinuations, notion que le dictionnaire définit comme « ce que l’on donne à entendre sans l’exprimer ouvertement » ; une « action ou manière adroite, subtile, de faire entendre une chose qu’on n’affirme pas positivement ». Encore faut-il, cependant, qu’il y ait de la part du locuteur une volonté de communiquer implicitement un message diffamatoire ou, à tout le moins, une insouciance ou incurie quant à l’impact probable sur une personne ordinaire du propos objectivement porteur d’insinuations.
Le plus souvent en jurisprudence, les insinuations diffamatoires s’accompagnent, avec plus ou moins de simultanéité selon le cas, d’allusions ou de propos explicitement injurieux ou diffamatoires envers la victime. Le contexte, qu’il soit ou non immédiat, permet donc de discerner plus facilement quelle est la teneur véritable du message sous-jacent, de ce que le locuteur a donné à entendre sans l’exprimer ouvertement. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Lorsque l’insinuation survient sans que le locuteur ait dévoilé ailleurs le fond de sa pensée sur ce qui est insinué, il convient d’évaluer en tant que tel, et pour ce qu’il est, le propos litigieux. Dans ces conditions, une insinuation sera diffamatoire si elle est porteuse de connotations suffisamment péjoratives et suffisamment fortes pour qu’une personne ordinaire donne vraisemblablement au propos un sens qui déconsidère la victime. »
En Conclusion, l’honorable juge Vallée n’hésite pas à conclure que les écrits publiés sur Facebook par les défenderesses constituent des actes diffamatoires et ce, même en l’absence de paroles clairement préjudiciables.
Il écrit : « De l’avis du Tribunal, tel est le cas ici. Bien que les commentaires de madame Claveau soient plus subtils que ceux de madame Cantin, le contexte, notamment les commentaires et réponses d’utilisateurs Facebook, font en sorte que les insinuations de madame Claveau sont porteuses de connotations suffisamment péjoratives et suffisamment fortes pour qu’une personne ordinaire donne vraisemblablement au propos un sens qui déconsidère G & B. »
Pour ceux qui seraient tentés d’utiliser les médias sociaux pour obtenir justice ou encore exprimer et véhiculer des informations ou même simplement insinuer en point d’interrogation, il serait préférable de s’y abstenir. Les médias sociaux sont des outils d’expression formidables mais qui s’adresse à un auditoire élargi. Il ne s’agit pas d’une simple lettre transmise en privé. Alors, attention!
Vous avez des interrogations sur le sujet de la présente rubrique; n’hésitez pas à communiquer avec l’un de nos avocats conseils.
Latest Posts
LA DIFFAMATION SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
Une insinuation sera diffamatoire si elle est porteuse de connotations suffisamment péjoratives et suffisamment fortes pour qu’une personne ordinaire donne...
LA DIFFAMATION SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
Marié ou conjoint de fait. Est-ce que ça fait une différence?
Le Code civil reconnaît le mariage, lui donne divers effets et accorde aux époux divers droits et obligations. Il en va de même de l’union civile qui...
Copropriété
LA GESTION DE VOTRE COPROPRIÉTÉ, DES CHANGEMENTS À VENIR Le 13 juin 2018, le Projet de loi 141, intitulé Loi visant principalement à améliorer...